Type d’ouvrage : roman français d’aventures contemporain
Auteur : Des Gouttes, Jean
Il n’y a pas d’autre édition ancienne que celle de Lyon de 1544.
DES GOUTTES, Jean, Philandre, éd. Pascale Mounier, Paris, Classiques Garnier, coll. « Textes de la Renaissance », série « Romans de chevalerie de la Renaissance », 2015.
Philandre est un roman de chevalerie original composé par Jean des Gouttes. Il est un des rares romans français contemporains sans sources médiévales ou étrangères directes.
Des Gouttes ne signe pas son œuvre en page de titre mais donne son nom dans la dédicace, adressée au dauphin de France, le futur Henri II. Celui qui se définit comme simple « serviteur et subject » du prince est un lettré actif du milieu lyonnais dans les années 1530 et 1540 (voir Cooper, « Le roman à Lyon… », art. cit., p. 117-118). Originaire d’une famille de Saint-Symphorien-sur-Coise, village au Sud-Ouest de Lyon, ce receveur des dîmes de l’Église a été mêlé à partir de 1533 au milieu des poètes néo-latins, peut-être grâce à son oncle Benoît Court. Tout en ayant été un des premiers à traduire Lucien en français, il a échangé des pièces de contact avec différents Lyonnais. Au début des années 1540 il s’est inséré dans les réseaux de publications romanesques, comme l’atteste la parution à quelques mois d’intervalle de la première traduction française d’Orlando furioso et de Philandre. La parution de Roland Furieux est certainement antérieure à celle de Philandre, vu que le privilège de la traduction de l’Arioste a été délivré le 7 mars 1544 (n. s.) et que la dédicace du second porte la date du 1er octobre 1544.
Philandre ne connaît qu’une édition (éd. 1Le premier livre de la belle et plaisante histoire de Philandre, surnommé le Gentilhomme,
Prince de Marseille : Et de Passerose, fille du Roy de Naples.
Lyon, Jean de Tournes, 1544.) au XVIe siècle, chez Jean de Tournes. Si la « veste éditoriale » de l’ouvrage, selon R. Gorris-Camos
(« ’Non è lontano… », art. cit., p. 62), est remarquable, le roman n’a pas forcément rencontré un grand
succès. Le récit en est resté au livre I, malgré l’annonce des livres II et III dans un huitain liminaire adressé au dauphin.
Le roman retrace les aventures chevaleresques et amoureuses du chevalier Philandre, Prince de Marseille. Elles amènent ce dernier au royaume de Naples, où il se lie secrètement avec la Princesse Passerose, alors même que la jeune fille est promise en mariage au vieux roi de Sicile, Garamond. Le roman présente une structure originale par rapport à celle des romans de chevalerie renaissants, puisque trois récits brefs sont enchâssés à l’intérieur du récit principal : l’histoire « de l’Oyseauvert Roy de Faerie, et de Madamoiselle Laure de Naples », racontée par Passerose ; celle de la princesse Bradamante demandée en mariage par le vieux Pinamont, racontée par Sclarion, l’ami de Philandre ; et l’histoire de Lypomene, mariée au vieil Agrisip, qui est racontée par Carminian, un personnage du deuxième récit secondaire. Le roman est donc construit selon un dispositif à trois niveaux, où la destinée des personnages des histoires emboîtées reflète celle de Passerose, Philandre et Garamond. Il se dégage alors du roman une orientation axiologique originale, où les mariages déséquilibrés en âge sont condamnés pour faire l’apologie de l’amour entre jeunes personnes, qu’il soit vécu à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre du mariage.
In-8°, car. ital. 219 p., sign. a8-o6. Initiales ornées.
Le // premier // livre de la // belle et plaisan- // te histoire de Philandre, sur- // nommé le Gentilhom- // me, Prince de // Marseil- // le : // Et de Passerose, fille du Roy // de Naples. // [marque de l’imprimeur] // À Lyon, // Par Jean de Tournes. // 1544.
Fin du premier livre // de Philandre de // Marseil- // les.
Outre les éléments transcrits ci-dessous le paratexte liminaire contient un huitain « À Monseigneur le Daulphin » [p. 2 (non paginée)] adressé au futur Henri II.
Si par instinct de la Nature, mere et generale Maistresse des choses creées, Tresillustre Seigneur, voire jusques aux bestes brutes, ha esté ouverte l’intelligence, par laquelle elles cognoissent, à l’heure du faonner, combien leur est necessaire de colloquer leurs Petitz aux plus asseurez lieux : tellement que estans nez et issus en lumiere, se puissent nourrir hors de tout peril : et estans nourriz, qu’ilz jouyssent de la vie : Et si par mesme doctrine comprennent les Oyseaulx combien est meilleur de choisir pour les nidz de leur generation, les plus haultz arbres : afin que icelle leur generation s’estant vestue de plumes, ayt plus large, plus expediée, et moins fascheuse voye par l’air, au desployement de leurs volz : avec quelle industrie plus grande si ex- [p. 4] presse doctrine peult monstrer aux hommes sectateurs de la raison, executeurs de la prudence, de commettre leurs œuvres en la garde de celuy qui leur est proposé du jugement, comme plus apte à conserver lesdites œuvres, jusques à ce que la renommée les recueille en sa bouche : et recueillies, les espande de tous costez du monde ? Et partant ne se fault esmerveiller si mon jugement avec toute election du naturel discours, m’a monstré vostre treshaulte et tresillustre Seigneurie : aux pieds de laquelle, avec deuë reverence, se doivent consacrer les miennes inventions. En quoy faisant bien se peult notifier à tous, combien m’a esté favorable l’advis, qui à cecy m’a induict : car si de la dedication, et adresse des œuvres, que l’on faict aux illustres et dignes hommes, s’en retire dignité aucune, les narrations miennes (jaçoit que tresindignes de aucun loz) : pendant qu’elles monstreront au visaige le titre de vostre tresillustre nom, auront avec elles le merite : et pourront seoir en quelque degré de préeminence. Et s’il est vray que de tant que en plus de haultesse se colloquent les labeurs des estudes d’aultruy, moins se vient à manifester la terrienne vilté (au fond de laquelle eulx se voyent submergez) je ne fais doubte que les escripts, lesquels maintenant je vous presente, quoyque à cause du style gros et rude, ils versent au centre de toute caligineuse osbcu- [p. 5] rité, n’ayent à estre veuz, relevez par vous en leur pleine lumiere, et jour : par ce mesmement, que moy ayant avec les voluntez de vraye affection fichées aux merites de treshaulte noblesse vostre, je puis sembler m’estre faict une echelle au Ciel par telle voye. Car veritablement (si bien on y prend garde) il n’y a chose tant soit elle par gloire voysine aux estoilles, tant subtile entre les anciens Memoires, dont se faict glorieux et noble le nom des Italies, de France, de l’Espaigne, et pour abreger de tout le demeurant du monde, qui se puisse par sublimité accomparer à l’excellence et haultesse de la tresillustre maison de France : En laquelle vous, comme l’une des plus grandes veines du sang d’icelle, apparoissez en ce temps cy spectacle non seulement unique et rare, mais admirable et plus que humain. Au moyen de quoy : et pource que l’umbre de vostre vertueuse valeur, d’où resplendissent les œuvres de tous Escrivains, est celle qui souvent faict demeurer arriere la venimeuse et contagieuse rage, qui de la bouche, et des yeulx de la maligne Envie distille, se peult clairement veoir l’escu que de vous se sont faicts les miens escripts. Pendant que iceulx, pour leur protection, ont prins la Reverence, par laquelle toutes les ames à vous s’enclinent : la Valeur, par qui un chascun vous reve- [p. 6] re : la Generosité, laquelle faict que les yeux du monde au contempler la splendeur vostre, soient esblouys, et pleins d’admirable merveille : la Vertu, cause seule que chascune langue vous exalte, et magnifie : Tellement que de là se considere combien sont infiniz les autres aornements, que le mien petit present peult rapporter, pour iceulx mes escripts s’estre offers et consacrez à vostre tresgrande haultesse : desquelz par contre, à cause de leur desordonné discours, rien ne pourront s’adjouster les Gemmes tresaornées de voz honneurs. Et pource donques avec voix, de mon cueur vrayement averée, me convient dire : « Dieu vous saulve », ô Prince tresheureux, et sans per : puis que la Grandeur à vous divinement octroyée de lassus est telle, que avec la faveur de votre Estoille amyable povez agrandir toute petite vertu en l’esprit d’autruy : povez aussi luy relever toute humble et basse volunté et luy regir l’infirme main au remplir les nouvelles Histoires, qu’il escript, de ces louenges, desquelles en l’exercice des premiers ans avec si grande et magnifique pompe coronnez la haulteur de vostre nom. Vous soit encores, ô Prince tresheureux, guide à jamais la Bonté celeste, en tous les Cours de vos magnanimes gestes. Celle vous soit Escorte par la mer de ces mondaines tempestes. Celle, dis je, comme fidele Tramontane vous gouverne jusques à tant [p. 7] que la riche Nef chargée de divins thresors pour enrichir le Monde de Renommé [sic], et de Gloire, seure de tous dangereux Rochers, se conduyse à celuy port, où le supernel Architecte dispose l’instable et mortelle Machine de ses fortunées influences. Et ainsi ne sachant autre, que plus je me [sic] die, en quoy avec plus grand desir je me vienne eschauffer, et enflammer le cueur, me tais à tant, presentant mes ardents vœuz au Ciel et à vous mes escripts. Lesquels il vous plaira recevoir de votre treshumble, et tresobeyssant serviteur, et subject. De Lyon, le premier jour d’octobre, l’an de grace M. D. XLIIII.
Si jamais en aucun temps vous vous estes, ô celestes Muses benignes, demonstrées à vos Poëtes, maintenant veuillez le mien style fortifier tant qu’il suffise. Et à ce moyen pourront mes escripts comparoistre en la presence de l’unique Soleil, et vray exemple des Vertus, en luy recitant les haultz faicts et gestes des princes anciens. Duquel divin Soleil veritablement semble que les excellentes et industrieuses operations exhortent tous engins et bons Esprits [p. 9] d’appliquer et l’encre, et la plume, tant à joyeuses et plaisantes descriptions, que aussi à entreprendre de mettre par escript sciences utiles et profitables : s’ilz desirent d’estre à perpetuité en la bouche de Renommée. Au moyen de quoy, et quasi comme contrainct de telles tacites exhortations : et, oultre ce, afin que je sois estimé le sien treshumble serviteur et subject, avec infiniz autres, qui de jour en jour s’efforcent de complaire à cueur tant vertueux, je me suis advisé, pressé de merveilleux desir, de mettre en lumiere histoire, en laquelle puisse mondict Seigneur recreer ses espritz quand ilz luy sont appoisantis par le poisant fardeau des grandz affaires du Royaume : à l’execution et soustenement desquels le Roy son Seigneur, et Pere, nostre Sire, journellement l’exerce et l’employe. Au fort, avant que commencer, pour autant que ce mien humble et bas engin assez ne suffiroit à si grande entreprinse, laquelle aujourd’huy s’est offerte, besoing m’est d’implorer la vostre haulte faveur et divinité, ô celestes et sacrées Muses, vous advertissant que si une seule fois me laissez mouiller la langue dedans la Gorgonienne fontaine, qu’en moy sera en tant d’abondance la harmonie de bien chanter recueillie, que prestement se verront surgir les narrations expediées et promptes : et avecques la voix hardyment desliée, espandray dehors les sonoreux accens, et œuvres [p. 10] prinses en l’internel memorial : auquel sont enregistrez les haultains faictz d’armes, et d’amours. Et tout se fera (comme j’espere) au gros plaisir et contentement de mon treshonoré Seigneur. Ô belliqueux Mars : et vous, ô Venus Cithere, ne vous marrissez point à l’encontre de moy, combien que je me sois meu à raisonner de vos delices avec si peu d’artifice : en cela, excusez, ô Dieux, puis que je y fais le possible : et si jamais par vous furent les graces departies, ne me laissez trebuscher en la boue, mais conduisez ma nasselle, et m’attirez au port sans peril : attendu que le divers chemin entreprins ha d’estre d’un treslong traict.
Pascale Mounier
Laetitia Dion
04/11/2011
08/06/2016
Citer cette noticePascale Mounier, « Philandre », in base ELR : éditions lyonnaises de romans du XVIe siècle (1501-1600), Pascale Mounier (dir.), en ligne : https://rhr16-elr.unicaen.fr/fiches/106 [consulté le 14/10/2024]