Type d’ouvrage : roman français d’aventures contemporain
Auteur : Maugin, Jean
Il n’existe pas d’édition moderne.
Le Nouveau Tristan est une réécriture du Tristan en prose, somme arthurienne composée dans la première moitié du XIIIe siècle qui a pour protagoniste le chevalier éponyme.
Le roman médiéval a bénéficié d’un grand succès. Sont connus aujourd’hui plus de 80 manuscrits du Tristan, échelonnés du XIIIe au XVe siècle. Ces manuscrits ne présentent pas tous le même texte. La critique a identifié deux versions principales du roman, une première version courte (V.I) et une deuxième version longue (V.II), considérée comme la Vulgate. Il existe deux autres versions (V.III et V.IV), qui sont moins diffusées et qui sont plus tardives : elles utilisent et compilent les versions antérieures.
Certains manuscrits portent des configurations tout à fait particulières. Tel est le cas du ms. Paris, Bnf, fr. 103, qui présente un texte dérivé de la version V.IV, mais abrégé et interpolé avec des épisodes tirés d’autres récits romanesques. L’interpolation la plus remarquable consiste ici dans un dénouement, la mort de Tristan et Yseut, différent des autres versions en prose et proche de celui des romans en vers.
C’est d’un modèle proche de ce manuscrit que les imprimeurs du XVe siècle ont tiré le texte imprimé du Tristan. Le Tristan en prose est imprimé pour la première fois en 1489 par Jean Le Bourgois à Rouen, peut-être commandité par le libraire parisien Antoine Vérard, le principal diffuseur de la matière arthurienne au XVe siècle. Le roman est ensuite réimprimé trois fois par Vérard (c. 1496, c. 1499, c. 1506), deux fois par Michel Le Noir et Jean Petit (1514, 1520), et une fois par Antoine ou Nicolas Couteau pour Denis Janot (1533). Le texte demeure stable d’une édition à l’autre, si ce n’est pour de légères variantes.
C’est l’une de ces éditions que Jean Maugin, dit le « Petit Angevin », connu pour ses traductions et adaptations (Machiavel, romans espagnols, Apulée), a utilisée pour l’écriture de son Nouveau Tristan, version actualisée du récit qui couvre environ tiers de l’imprimé.
Jean Maugin insiste sur le travail d’adaptation qu’il a fait subir à l’œuvre médiévale, appelée vieil rommant. Dans ses paratextes, les adjectifs renouvelée et nouveau qualifient l’histoire proposée aux lecteurs. Cette aspiration à la modernisation se concrétise par des stratégies stylistiques et narratives rénovant le style, l’intrigue et la mise en texte (division en chapitres plus courts, scènes burlesques et grivoises, ajouts d’interventions du narrateur, références mythologiques, amplifications stylistiques, rationalisation de la trame, etc.). Le nouvel ouvrage se caractérise aussi par un éloignement des formes matérielles du livre gothique et par le choix d’un format typographique proche de celui des textes de chevalerie en vogue dans les années 1540 et 1550. L’édition parisienne de la Veuve La Porte s’inscrit en effet dans la mouvance des « nouveaux romans », au rang desquels l’Amadis et le Roland Furieux, dont elle adopte les traits formels : caractères romains, mise en page aérée, gravures au style moderne.
Le Nouveau Tristan n’a pas bénéficié d’un large succès de librairie. Le privilège annonçait le projet
d’une publication en quatre volumes et le dernier chapitre du roman évoque ce « second
livre » que Maugin espérait faire paraître à la suite. Or aucune suite n’a jamais vu le jour et on remarquera de plus que le Nouveau Tristan qui paraît, en 1567, chez Gabriel Buon, n’est pas une édition mais une nouvelle émission
de l’édition précédente, ce qui montre que les exemplaires de l’editio princeps n’avaient pas été alors écoulés. C’est seulement après cette réémission du Nouveau Tristan qu’a vu le jour la véritable deuxième édition du texte, qui paraît cette fois-ci à Lyon, en 1577, chez Benoît Rigaud (éd. 1Le livre du nouveau Tristan, prince de Leonnois, chevalier de la Table Ronde, et d’Yseulte,
princesse d’Yrlande, royne de Cornoüaille.
Lyon, Benoît Rigaud, 1577.), l’un des plus importants pourvoyeurs de romans, vieux ou nouveaux, de la deuxième
moitié du XVIe siècle. Une dizaine d’années plus tard, en 1586, est publiée la dernière édition du Nouveau Tristan, par Nicolas Bonfons à Paris.
Le paratexte est constitué de deux pièces, toutes deux adressées à Pierre Cauchon de Maupas, abbé de Saint-Jean de Laon. Avant une ode écrite par Jean de Mesmes (Coelum non solum), on trouve une dédicace de Jean Maugin.
Mon Seigneur, ç’a esté presque l’argument commun de tous les Françoys, qui ont mis leurs compositions en lumiere depuis vint ans, proposer, ou qu’on avoit dérobé leurs copies, ou que l’importunité de leurs amys les forçoit et contraignoit à l’impression d’icelles. Je sçay combien la Modestië et Vergoigne sont louables : mais mettre en leur rang une simplicité et defiance de soy, celà m’a semblé tant ridicule et moquable, que n’ay voulu, ne peu en abuser : ores qu’entre aucuns il soit tenu pour opinion et coustume. A ceste cause, et au rebours d’eux, ay eu tousjours intention et desir : mesmement dès l’heure, que fistes celle humanité et grace, de me tirer d’une captivité et prison, à la liberté et franchise de vostre service, vous faire paroistre et donner chose de ma plume, qui vous aportast tel plaisir, qu’eusse bonne ocasion de m’en contenter : n’ayant vostre main esté jamais close à ceux, qui vous ont presenté de leurs œuvres, ou petites, ou grandes. Et pour monstrer par effait le naïf de ma volunté, aprés quelque nombre de mes Vers, ausquels daignastes n’agueres porter ceste faveur de les lire et garder : j’ose vouër maintenant à l’excellance de vostre nom, la premiere partië de mon nouveau Tristan de Leonnois, plus vostre que mien, pour les bons traits, claires lignes, et belles couleurs, dont l’avez enrichy, m’en oyant lire la minute. Dequoy ne m’émerveille : ains le louë : consideré, qu’avez esté apris et norry en la Cour, de ce feu premier et grand Roy Françoys : durant le regne et au prouchas duquel, les meilleurs langues, avec la nostre, ont pris leur ressource et lustre, ainsi que les arbres et herbes r’entrent en verdeur et croissance à la prime-vere. Non que ce soit par presumption de le sentir digne de vostre Librairië, ou de l’objét de votre œil : trop bien d’une esperance conceuë, que les Lecteurs, connoissans la singularité de vostre parler, la pureté d’iceluy, comme estes amy de voz imitateurs, en telles raritez, et voyans le vœu qui vous en est fait, penseront raisonnablement, qu’il merite estre recueilly et parleu, ou pour sa gentile invention, ou pour le bon air et facilité de son stil et langage. Joint, que les traverses drecées par fortune à nostre Roy de Leon, les menées, pratiques, et inimitiez secrettes de ses mal veillans, ne sont beaucoup dissemblables à celles, qu’avez échapées et amorties de fraiche memoire. Or est le sujet d’Armes et d’Amours, matiëre traitant de la fleur des Vertuz, tant hautes que basses : si qu’il n’y aura Gentil-homme, ne autre d’inferieure condition d’esprit et mettable, qui n’y trouve dequoy recréer et alaigrer son ame, lors que tristesse et melencolïe viendront, pour la ranger en cage plombée et sombre. Qu’ainsi soit, sous le personnage de Tristan armé et Chevalier errant, se pourront conoistre les actes d’un Prince magnanime, hardy, vaillant, equitable, debonnaire, prudent et assuré : sous Yseulte, les bonnes partïes aussi d’une grande Dame : Scavoir, comme elle doit estre honeste, courtoyse, modeste, affable, compagnable, civile, avisée et constante : tellement, que la conclusion sera necessaire et evidente de ce qui est requis d’honneur et d’honesteté entre deux Amans, pour l’entretien perpetuel de leurs aymables et amyables afections. Il est bien vray, que tels discours de Noblesse et Humanité, n’ont peu s’écouler, sans y avoir entremellé maintes avanture : où sont recitées quelques industries, subtilitez, infidelitez, trahisons et jalousies. Mais qui vit oncques pré sans chardons, campagne sans ronces, forest sans épines, et moyen vertueux sans estre acosté et enclos d’extremitez vicieuses ? Celles-cy, pour estre fuyës et chassées : l’autre, domestiqué et retenu : et croy assurément que moindre profit n’en raportera celuy, qui y mettra sa veuë et s’y arrestera. Tel qu’il soit toutesfois, sans l’atente et certitude empraintes en mon cueur, du gré qu’en aurez et de la continuë de vostre liberalité vers moy, ne seroit mis ne receu en public ; eu égard à la defaveur, dont la plus grande partië des hommes du jourd’huy étrangent les Muses, et le peu de cas qu’ils font de Science et Vertu. Un autre point encor’ m’â fait briser la haye, et rompre l’empeschement : c’est que vous, Mon Seigneur, qui avez esté desjà mon sauveur second, serez maintenant defenseur de mes labeurs : sachant et entendant tres-bien que valent les écris venans de bon lieu, la difference du vieil Rommant à nostre histoire renouvelée, et la pene d’illustrer et faciliter telles choses. Ce qu’assez conu de ma part, feray moins de conte des envieux et médisans, que ne faisoit jadis le Poëte Sulmonien, des froids et barbares Getes. Et pour ne vous tenir plus longuement en propos, qui pourroit ennuyer, vous ayant pour Bienfaiteur (neantmoins que je ressemble d’avantage Melibée que Titire) je delibere respondre à ceux qui s’enquerront de mon repos entre les envies et miseres.
O chers amys, Maupas, et vostre et mien,
Voire mon Dieu second, m’â fait ce bien.
A Laon, en vostre maison de saint Jan, ce xx. Juin. 1554.
Vostre tres-humble et tres-obeïssant Serviteur L’Angevin.
Francesco Montorsi
04/11/2011
30/01/2023
Citer cette noticeFrancesco Montorsi, « Nouveau Tristan », in base ELR : éditions lyonnaises de romans du XVIe siècle (1501-1600), Pascale Mounier (dir.), en ligne : https://rhr16-elr.unicaen.fr/fiches/101 [consulté le 21/11/2024]