Lancelot du Lac

Bibliographie

Éditions anciennes

Édition lyonnaise

1. Benoît Rigaud, 1591Histoire, contenant les grandes prouesses, vaillances, et heroiques faicts d’armes de Lancelot du Lac, Chevalier de la Table ronde, Divisée en trois livres, et mise en beau langage François. Avec briefs sommaires donnans au plus pres l’intelligence du tout, et une table des plus principales ou remarquables matieres y traictées. Lyon, Benoît Rigaud, 1591.
Exemplaires :Paris, Bnf, Y2 1303Lyon, BM, Rés B 512204Dijon, BM, 7813Oxford, Bodleian Library, Douce L.56Lincoln, Bibliothèque de la Cathédrale, Oo. 3. 16Chicago, Newberry Library, YA 639.47.

Autres éditions anciennes

On peut signaler 7 autres éditions anciennes des débuts de l’imprimerie jusqu’en 1600 :

  • Livre fait et composé à la perpetuation des vertueux faits et gestes de plusieurs nobles et vaillants chevaliers, qui furent au temps du roi Artus, compagnons de la Table Ronde, specialement à la louange de Lancelot du Lac. Rouen, Jean le Bourgeois (vol. 1) et Paris, Jean du Pré, 1488 (vol. 2). 2 volumes. Exempl. : Paris, Bnf, Rés. Y2-46-47 (vol. 1, 2) (consultable en ligne) ; Paris, Arsenal, Rés. Fol BL 924 et 925 (2 exempl. du vol. 1) ; Oxford, Bodleian Library Auct., 2Q.4.4-5 (vol. 2) ; Oxford, Bodleian Library, Douce 290 (vol. 1 et 2).
  • – Le premier volume de Lancelot du Lac. Paris, Antoine Vérard, 1494. 3 volumes, éd. sur vélin. Exempl. : Paris, Bnf, Vélins 614-615-616 (vol. 1, 2, 3) ; Bnf, Vélins 617-618-619 (vol. 1, 2, 3) ; Bnf, Vélins 620-621 (vol. 1, 2) ; Paris, Mazarine, Inc 1286 (consultable en ligne) ; Londres, BL, IB.41161 (vol. 1, 3) et G.10861 (vol. 3).
  • Le premier volume de Lancelot du Lac. Paris, Antoine Vérard, [1504]. 3 volumes. Exempl. : Paris, Arsenal, Rés. Fol BL 923 (vol. 1, 2, 3) (consultable en ligne) ; Londres, BL, C 39 k 2 et G 10859-60 (vol. 1, 2).
  • Le premier volume de Lancelot du Lac. Paris, [Michel le Noir], 1513. 3 volumes. Exempl. : Londres, BL, C.7.b.16-18 (vol. 1, 2, 3).
  • Le premier volume de Lancelot du Lac. Paris, Michel le Noir, 1520. 3 volumes. Exempl. : Londres, BL, 634.l.12 (vol. 1, 2, 3).
  • Le premier volume de Lancelot du Lac. Paris, Philippe le Noir, s. d. [1520-1533]. 3 volumes. Exempl. : Paris, Bnf, Rés. Y2-48-49-50 (vol. 1, 2, 3).
  • Le premier volume de Lancelot du Lac. Paris, Philippe le Noir et Jean Petit, 1533. 3 volumes. Exempl. : Paris, Bnf, Rés.Y2-51-52-53 (vol. 1, 2, 3) et Rés. Y2-339-340-341-342-343-44 (2 exemplaires des vol. 1, 2, 3) et Rés. G-Y2-47; Londres, BL, 837.l.11 (vol. 1, 2, 3).

Éditions modernes

Il existe un fac-similé de l’édition de 1488 :

Lancelot du Lac, introduction et notes par C. E. Pickford, London, London Scolar Press, 1977.

Le texte source est aussi édité :

  • Lancelot-Grail: The Old French Arthurian Vulgate and Post-Vulgate Cycles in Translation, 5 volumes, éd. Norris J. Lacy, New-York et Londres, Garlande, 1992-1996.
  • Lancelot du Lac, roman français du XIIIe siècle, 5 vol., éd. François Mosès et al., Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », 1991.
  • Lancelot, roman en prose du XIIIe siècle, éd. Alexandre Micha, 9 vol., Genève, Droz, 1978-1983.
  • La Quête du saint Graal, éd. Fanni Bogdanow, trad. Anne Berrie, Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, collection « Lettres gothiques »,2006.
  • La Mort du roi Arthur, éd. Emmanuèle Baumgartner et Marie-Thérèse de Medeiros, Paris, Champion classiques, 2007 ; autre éd. : éd. et trad. David F. Hult, Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, collection « Lettres gothiques », 2009.
  • Le Livre du Graal, 3 vol., éd. Dominique Poirion et Philippe Walter, Paris, Gallimard, Pléiade, vol. 2-3, « La Première Partie de la quête de Lancelot » et « La Seconde Partie de la quête de Lancelot », 2003.
  • The Vulgate version of the Arthurian romances, 8 vol., éd. H. Oskar Sommer, Washington, The Carnegie Institution, vol. 3-4, « Le livre de Lancelot del Lac », 1910-1912.

Études et articles

  • BURG, Gaëlle, « De Paris à Lyon, les mutations éditoriales du Lancelot du Lac », in Via Lyon : parcours de romans et mutations éditoriales au XVIe siècle, dir. P. Mounier et A. Réach-Ngô, Carte romanze, vol. 2, n° 2, 2014, p. ?-?.
  • CAZAURAN, Nicole, « Les romans de chevalerie en France entre exemple et recréation », in Le Roman de chevalerie au temps de la Renaissance, éd. M.T. Jones-Davies, Paris, 1987, p. 29-48.
  • FOX, Marjorie B., La Mort le Roi Artus, Étude sur les manuscrits, les sources et la composition de l’œuvre, Paris, 1933, p. 32.
  • MAC FARLANE, Jane, Antoine Vérard, London, 1910, n° 35.
  • PICKFORD, Cedric, « Benoist Rigaud et le Lancelot du Lac de 1591 », in Mélanges J. Frappier, Genève, 1970, t. II, p. 903-911.
  • PICKFORD, Cedric, « Antoine Vérard éditeur du Tristan et du Lancelot », in Mélanges C. Foulon, Rennes, 1980, t. I, p. 277-285.
  • TAYLOR, Jane, « Antiquarian Arthur : Publishing the Round Table in Sixteenth-Century France », L’Héritage de Chrétien de Troyes, dir. W. W. Kibler, Cahiers de Recherches Médiévales, n° 14, 2007, p. 127-142.
  • TAYLOR, Jane, Rewriting Arthurian Romance in Renaissance France, Genève, Droz, 2014, p. 202-214.
  • WINN, Mary Beth, Antoine Vérard, Parisian Publisher, 1485-1512, Prologues, Poems and Presentations, Genève, Droz, 1997, p. 295-313.
  • WITTLIN, Curt, « Qu’est-ce qui a tué ‘OCIRE’ ? Observations sur quelques changements lexicaux entre le texte original et l’édition 1488 de La Mort le Roi Artu », Le Moyen Français, n° 22, 1989, p. 51-60.

Présentation

Histoire éditoriale

De la renaissance au déclin du roman arthurien

Lancelot du Lac est le premier roman arthurien imprimé. Sa première édition en 1488, par Jean Le Bourgeois à Rouen pour le volume 1 et Jean Du Pré à Paris pour le volume 2, inaugure, avec les premiers imprimés de chansons de geste, romans antiques et romans d’aventures du Moyen Âge, la vogue éditoriale de la littérature chevaleresque médiévale à la Renaissance. Elle est reprise dans deux éditions successives par Antoine Vérard à Paris, l’une en 1494 qui présente des variations d’exemplaires (selon le support utilisé et le destinataire), l’autre portant la même année mais datant probablement de 1504. On la retrouve ensuite, toujours à Paris, chez Michel Le Noir en 1513 puis en 1520, et chez son fils Philippe Le Noir dans une édition sans date puis à travers une collaboration avec Jean Petit en 1533. Après cette date, le texte n’est plus édité pendant près de soixante ans. Il fait néanmoins une dernière apparition à Lyon en 1591 sous les presses de Benoît Rigaud.

Source des éditions

La source des imprimés est le cycle du Lancelot-Graal (début XIIIe siècle) attribué faussement à Gautier Map, qui rassemble cinq textes d’auteurs différents (L’Histoire du Graal qui reprend le Joseph de Robert de Boron ; L’Histoire de Merlin qui reprend le Merlin de Robert de Boron et lui donne une continuation ; le Lancelot ; la Quête du Saint Graal ; La Mort du roi Arthur). Les imprimés se limitent aux trois derniers textes. Le remanieur de l’édition de 1488, dont le texte est repris sans grandes variantes dans les éditions parisiennes postérieures, a effectué un découpage en plusieurs livres et repris, dans une rubrique de la dernière partie, l’attribution à Gautier Map. Dans la tradition médiévale, on distingue deux versions pour les trois dernières parties du cycle : la version courte et la version longue. La source des éditions est la version longue, mais très raccourcie (J. Taylor, Rewriting France…, p. 67 et p. 68-76).

Éditions jusqu’en 1533

L’édition princeps se présente sous la forme d’un in-2 en deux volumes, structuré en 5 parties distinctes. Tout comme le découpage, le prologue est inédit (Burg 2014 ; Cazauran 1987 p. 36-37 ; Winn 1997 p. 299-300 ; Taylor 2007, p. 3). On y trouve une concentration des divers topoï des prologues médiévaux et renaissants et un caractère moralisateur. La figure auctoriale médiévale du Lancelot, Gautier Map, y est passée sous silence (sauf dans une rubrique de la dernière partie du texte) et est remplacée par la figure du compilateur, statut que s’attribue le remanieur, qui semble beaucoup plus valorisé. Ainsi, la nature compilatoire du Lancelot, qui regroupe trois textes distincts, favorise un glissement du statut du remanieur (en tant que copiste plutôt que traducteur intralingual) vers celui de compilateur, ce qui le différencie de ses homologues renaissants.

Les éditions d’Antoine Vérard (deux éditions datées de 1494, mais dont la seconde est postérieure d’une dizaine d’années) proposent un nouveau découpage en trois livres. Si le format reste le même (l’in-2), les exemplaires se contestent dans leurs présentations, leurs illustrations, leurs nombres de lignes à la colonne, leurs adresses et leurs supports (vélin ou papier). Le chapitrage est considérablement développé et la table ne fait pas apparaître le caractère compilatoire de la source : Vérard fond les aventures de Lancelot avec celles des deux derniers textes du cycle du Lancelot-Graal. Le prologue est adressé à Charles VIII (Burg 2014 ; M. B. Winn 1997, p. 299-301 et p. 307-310 ; Taylor 2007, p. 127-142). Vérard reprend l’armature de celui de 1488 tout en le modifiant sensiblement. Il déplace la figure auctoriale sur le libraire (la mention à Gautier Map n’apparaît même plus dans une rubrique), qui plus est le libraire royal, se positionnant dans une perspective plus commerciale.

Le texte de Vérard est réédité par les Le Noir, le père (en 1513 et 1520) puis le fils (s. d. et 1533 en collaboration avec Jean Petit) sous la forme d’une copie presque parfaite de l’édition précédente, toujours en format in-2. Les imprimeurs-libraires n’ont pas jugé utile de moderniser le prologue ni le texte, et les gravures elles-mêmes finissent pas disparaître au fil des éditions. Même si les réimpressions montrent que le Lancelot devait encore connaître un certain succès, un déclin éditorial se profile à travers la dernière impression de 1533 qui nécessite une collaboration. À Paris,Lancelot du Lac disparaît alors pour très longtemps.

L’édition de Benoît Rigaud

Avec l’édition lyonnaise s’impose une rupture, à la fois temporelle, mais également au plan des pratiques éditoriales. Il s’agit non plus d’un grand in-folio en trois volumes de plusieurs centaines de pages chacun mais d’un petit in-8 de 166 pages. Son titre est inédit. L’édition reprend le modèle du titre long utilisé dans l’édition princeps mais conserve la focalisation sur Lancelot introduite par celle de Vérard. Elle préfère le terme histoire à celui de livre et précise dès le titre la nature singulière de ce roman, en indiquant de « briefs sommaires donnans au plus pres l’intelligence du tout », et annonce une « table des plus principales ou remarquables matieres y traictées ». Pour la première fois dans le parcours éditorial du roman, la traduction intralinguale est évoquée (« mise en beau langage François »).

Un nouveau paratexte se substitue à celui, trop démodé, qui remontait à 1494. La dédicace à Charles VIII, avec ses longs développements autour des topoï de didactisme moral et chevaleresque, n’apparaît pas. Benoît Rigaud s’adresse directement à son lecteur (titre du prologue : « Imprimeur au lecteur salut ») et déploie une série d’arguments afin de contrer la condamnation possible du caractère mensonger du texte qu’il imprime. Il promet une suite au lecteur, éventuellement séduit par sa première expérience.

La composition en trois livres reprend celle originellement instaurée par Vérard, mais le découpage interne de chaque volume est inédit. On observe un style parataxique, un lexique limité, l’absence de dialogues et de descriptions (Pickford 1970, p. 908-909 ; Taylor 2014, p. 204-205), l’ouvrage propose ainsi une pratique référentielle, consultative et informative de la lecture. Une autre initiative de Benoît Rigaud, particulièrement innovante dans le cas d’une fiction, est celle d’un véritable index (nommé « table »), qui classe par ordre alphabétique et non par ordre chronologique divers épisodes. Il ne s’agit pas d’une table des rubriques, celles-ci n’étant pas reprises à l’identique mais condensées à travers les diverses entrées de l’index (J. Taylor 2014, p. 206-211).

Textes liminaires : saisie personnelle

Exemplaire Paris, Bnf, Rés.Y2-46 (éd. Paris, Jean du Pré, 1488)

Cy comence le prologue de ce present livre. [f. aa3 v°- f. aa4]

Combien que les anciennes histoires ne sont pas de pareille foy que sont les sainctes et divines escriptures approuvées en la cristienne Loy, si n’est ce pas que les faiz et gestes memorisez et racomptez en icelles ne soient veritables et advenues. Et se les paiens au cours de leur regne et pour le temps de leurs folles et imparfaictes credences ont voulu deifier, tenir et reputer comme dieux aucuns hommes vertueux, pour leurs triumphalles et glorieuses oeuvres, il est bien decent et raisonnable que entre les crestiens, les vertus et glorieux faiz des excellentz hommes vivent aprez mort, et soient aux successeurs en perpetuelle memoire, et que à chascun soit fait memorial condigne selon ses valeur, merite et estat, aux ungz par sculptures et descriptions sur leurs monumentz, et aux autres par rediger en volumes leurs excellences, triumphes et operations, qui sont et demeurent à tousjours en bon exemple aux lecteurs et aux auditeurs, car ce qui y est recité de bien et de vertu est ensaignement et excitation de bien et vertueusement vivre, pour en acquerir renommée perpetuelle entre les hommes oultre l’esperée remuneration eternelle, et ce que l’en y treuve de mal ou vice est à execration, et pour reprimer la temerité des mauvais et vicieux. Et comme tesmongne l’appostre saint Paul, toutes les choses qui sont escriptes sont à nostre doctrine : c’est à entendre que nous debvons imiter les vertus et bonnes oeuvres, fuyr et eviter les vices. Et ainsi que font les bons et songneux laboureurs, qui extirpent en saison les chardons et autres mauvaises herbes de entre les bons grains et semences, il nous convient de jetter et mettre arriere les choses reprouchables et nuysibles, contraires a vertu, et de tout nostre cueur ensuyvre et excercer ce qui peult mener a l’estat de perfection et de honneur. Or est ainsi que des hommes qui ès jours anciens ont eu distribution des dons de Dieu et de nature, les ungz ont appliqué leur esperit, mise leur cure et employé leur temps à estude en diverses facultés, et puys ont composé traictez et volumes à l’edification d’autruy, par lesquelz leur memoire à esté perpetuelle entre les hommes, et permaindra jusques à la consummation des siecles. Les autres ont excercé leurs corps aux armes et a faire prouesses et chevaleries, et ont triumphé en multiplication de glorieuses victoires, en quoy ilz ont merité et desservi que leurs vertueux faiz aient esté recueilliz et mis par escript en volumes autentiques pour obtenir lieu de perpetuité et demourer à tousjours en la memoire des vivans, à fin que par la frequence de la lecture et recordation d’iceulx les courages des jeunes nobles bacheliers desirans florir en renommee chevalereuse et accroistre leur noblesse soient instruiz et excitez à vertueusement travailler et ouvrer en leur estat, à l’exemple de ceulx dont ilz voient et oyent la renommée vivre longuement et sans deffaillir aprez leur mort. Pour ces causes je qui suis des hystoriographes le mendre, aprez la revolution et lecture de plusieurs anciennes escriptures et hystoires, entre lesquelles se sont presentez devant mes yeulx les faiz et oeuvres vertueux de plusieurs nobles chevaliers qui pour los et honneur acquerre s’estoient en leurs jours efforcez de vaincre les victoriens et tollir le nom aux plus et mieulx renommez, pour par sur tous triumpher en victoire glorieuse, ay fiché l’encre de mon entendement et agité de diverses matieres en lieu qui m’a semblé plus delectable et mieulx digne de estre memorisé, à l’exaltation de noblesse et de chevalerie et à l’edification et exemple de toutes gens, et de ceulx principalement qui en l’excercice des armes desirent parvenir à la haultesse de honneur, et acquerir tiltre de longue memoire. Et à ceste fin ay compilé, a telz labeurs que la parvité et debile capacité de mon povre et rude entendement a peu soustenir et porter, ung livre extraict de plusieurs et diverses [ed. diveses] hystoires traictant de plusieurs fais et merveilleuses chevaleries avenues au temps du tresnoble et preux chevalier Artus, roy de la Grant Bretaigne, qui estoit seigneur et gardain de la Table Ronde, de laquelle et des vaillans chevaliers qui en furent compaignons tante et telle renommée a couru parmy le monde que elle n’en sera jamais estaincte, specialement du tresvertueux chevalier Lancelot du Lac, filz du noble roy Ban de Benoic, duquel les puissans faiz, les excellentes chevaleries et la renommée glorieuse moult semble de telle qualité, si fructueux et de si digne commemoration que a mon aviz grant peché seroit et perte irreparable de les souffrir perir et estaindre par omission de les escripre et les rediger en volume. Et de tant que je les ay trouvés exceller et passer tous les autres en toutes manieres, ay je plus insisté à la memorization et narration d’iceulx en mon livre, lequel principalement ay dedié et composé à son nom et a sa louenge et gloire, ensemble les autre suppotz de ladicte Table Ronde dont il fut compaignon et chevalier tresrenommé en bonté de chevalerie. Si supplie à tous ceulx qui liront et orront mondit livre qu’il leur plaise premierement excuser mon ignorance et supplier à la crudité et indigestion du langage qui est gros et maternel, et singulierement cueillir et prendre les fleurs et les bonnes oudeurs qu’ilz y trouveront, en soy conformant par imitation aux bonnes oeuvres et glorieuses vertus qui florissoient et abundoient en icelui noble chevalier Lancelot du Lac sans avoir regart ou soy gaires arrester en aucunes legieretez ou follies mondaines, esquelles il se abandonna par humaine fragilité, car l’excellence et la quantité de ses faiz tant glorieux excedent tous les deffaulx dont on le pourroit arguer ou reprendre. Et on sçait bien que soy abstenir de tout pechié est chose plus divine que humaine ; toutesfois je ne vueil pas approuver les vices que chacun doit detester et blasmer, mais seullement, tant comme il est permis, excuser la debilité de humaine condition. Et speciallement je prie tous jeunes nobles desireux de vertu et de honneur, pour lesquelz j’ay principalement entreprins ce présent labeur, qu’ilz en cueillent et goustent le fruit et facent que mon oeuvre vaille et fructifie en eulx tellement que par leur bien faire à l’exemple dudit chevalier Lancelot et des autres vaillans hommes dont les faiz sont racomptez en mon livre, ilz acquierent en leurs vies louenge et gloire de bonne chevalerie, dignes de immortelle memoire.

Exemplaire Paris, Arsenal, Rés. Fol BL 923, vol. 1 (éd. Paris, Antoine Vérard, [1504])

Le prologue. [f. B-f. B v°]

Considerant que par les triumphalles et glorieuses oeuvres que les vaillans hommes et nobles chevaliers anciennement firent en fait de chevalerie acquirent en leurs vies louenges et gloire de perpetuelle memoire, je vostre treshumble et tresobeissant serviteur à l’honneur et louenge de vous, mon tresredoubté et souverain seigneur, chief de toute noblesse et chevalerie, Charles, huitiesme de ce nom, trescrestien roy de France, affin que vostre chevalereux couraige et des jeunes nobles chevaliers desireux de vertu et honneur à l’exemple de vous, lisans par maniere de recreation les hystoyres et faiz des anciens vaillans chevaliers, soit de plus en plus multiplié en triumphe et valeur, vous ay fait ces presens volumes de la Table Ronde, traictans de plusieurs faiz et merveilleuses chevaleries advenues au temps du tresnoble et preux chevalier Artus, Roy de la Grant Bretaigne, qui estoit seigneur et gardien de la dicte Table Ronde, de laquelle et des vaillans chevaliers qui en furent compaignons en est et a esté telle renommée parmy le monde qu’elle n’en sera jamais estaincte ; speciallement du tresvertueux chevalier Lancelot du Lac, filz du noble roy Ban de Benoic, duquel les puissans faiz, les excellentes chevaleries et la renommée glorieuse excedent et passent tous les aultres suppostz de ladicte Table Ronde dont il fut compaignon et chevalier tresrenommé en bonté de chevalerie. Au nom duquel louenge et gloire sont faitz et composez cesditz presens volumes. Et combien que les anciennes histoires ne sont pas de pareille foy que sont les sainctes et divines escriptures approuvees en la crestienne loy, si n’est ce pas que les faiz et gestes memorisez et racomptez en icelles ne soient veritables et advenus. Se les payens ou cours de leur regne et pour le temps de leurs folles et imparfaictes credences ont voulu deifier, tenir et reputer comme dieux aulcuns hommes pour leurs glorieuses et vertueuses operations, il est bien decent et raisonnable que entre les crestiens les vertus et glorieux faiz des excellens hommes vivent après la mort et soient aux successeurs en perpetuelle memoire, et que a chascun soit fait memorial condigne selon ses valeur, merite et estat : aux ungs que par sculptures et descriptions sur leurs monumens, et aux aultres par rediger en volumes et escript leurs excellences, triumphes et operations qui sont et demourent à tousjours en bon exemple aux lecteurs et aux auditeurs, car ce qui est recité de bien et de vertu est enseignement et excitation de bien et vertueusement vivre pour en acquerir renommée perpetuelle entre les hommes, oultre l’esperée remuneration eternelle, et ce que l’en y trouve de mal ou vice est excecration et pour reprimer la temerité des mauvais et vicieux. Et comme tesmoigne l’apostre sainct Paul, toutes les choses qui sont escriptes sont à nostre doctrine : c’est à entendre que nous devons imiter les vertus et bonnes oeuvres, fuyr et eviter les vices. Or est ainsi que des hommes qui es jours anciens ont eu distribution des dons de Dieu et de nature, les ungs ont appliqué leur esperit, mise leur cure et employé leur temps à estudes en diverses facultez, et puis ont composé traictez et volumes à l’ediffication d’autruy, par lesquelz leur memoire est perpetuelle entre les hommes ; les aultres ont excercé leurs corps aux armes et à faire proesses et chevaleries, et ont triumphé en multiplication de glorieuses victoires en quoy ilz ont merité et desservy que leurs vertueux faiz ayent esté recueilliz et mys par escript en volumes auctenticques pour obtenir lieu de perpetuité et demourer à tousjours en la memoire des vivans, affin que par la frequentacion de la lecture et recordacion d’iceulx les couraiges des jeunes nobles bacheliers desirans florir en renommée chevalereuse et acroistre leur noblesse soient instruitz et excitez à vertueusement travailler et ouvrer en leur estat, a l’exemple de ceulx dont ilz voyent et oyent la renommée vivre longuement et sans deffaillir après leur mort, et principallement dudit chevalier Lancelot dont les faitz sont cy racomptez dignes de immortelle memoire.

Exemplaire Dijon, BM, 7813 (éd. 1Histoire, contenant les grandes prouesses, vaillances, et heroiques faicts d’armes de Lancelot du Lac, Chevalier de la Table ronde, Divisée en trois livres, et mise en beau langage François. Avec briefs sommaires donnans au plus pres l’intelligence du tout, et une table des plus principales ou remarquables matieres y traictées.
Lyon, Benoît Rigaud, 1591.
)

L’imprimeur au lecteur salut. [p. 3-4]

Amy lecteur, comme ainsi soit que noz offences et iniquitez nous ayent amenez à un temps, auquel nous ne pouvons ni devons parler de choses joyeuses ou recreatives, pour les miseres et calamitez si frequentes que nous avons, lesquelles nous devrions plustost accompagner de pleurs, larmes et gemissements continuels, tant y ha que m’estant tombé entre les mains une Histoire, non moins belle et honneste, que plaisante et pleine de toute recreation, contenant les actes genereux et victoires merveilleuses obtenues diversement par Lancelot du Lac, fils du Roy Ban de Benoic, le plus preux et vaillant Chevalier de la table ronde, je n’ay voulu permettre qu’elle demeurast ensevelie soubs un plus long silence, et obscurcie des tenebres d’oubly, ainçois (comme curieux de te plaire aggreer) ay voulu te la representer, à quelque coust que ce fust, à fin qu’au milieu de tant et tant de traverses, desquelles tu es agité journellement, la lecture d’icelle puisse apporter joye et consolation à ta tristesse, et allegement à tes adversitez. Ce qu’elle fera pour vray, si, comme la raison le veult, et l’Histoire, quoy qu’elle semble fabuleuse de prime face, le requiert (qui pour ceste cause ha esté appellée des Anciens le tesmoing des temps, la lumiere de la verité, la maistresse et le mirouer de la vie) tu en tires tellement le sens, que tu le rapportes, non au simple exterieur de la matiere, mais à ce qui plus approche de la signification de ce qui t’y est proposé. Car il ne faut point doubter que soubs ceste Histoire, ou semblables (lesquelles plusieurs blasment tant, les appelans songes vains et inutiles forgez par hommes oisifs) ne soyent comprises, comme soubs des couvertures, plusieurs bons et profitables enseignemens, concernans tant la manière de bien converser les uns avec les autres, que les passions d’esprit, pertes d’Estat, et autres accidens, qui arrivent ordinairement aux humains. Tu la recevras donc, amy lecteur, d’aussi bon cueur, comme je te la presente, avec promesse que si par cy apres quelque autre Histoire parviens jusques à moy, je t’en feray part. A Dieu. De Lyon ce 21. De fevrier, 1591.

Informations sur la fiche

Gaëlle Burg

04/11/2011

08/06/2016

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