Type d’ouvrage : roman français comique contemporain
Auteur : Rabelais, François
On a conservé aujourd’hui seize éditions de Pantagruel parues du vivant de Rabelais, c’est-à-dire jusqu’en 1553, année où commencent à paraître les éditions de ses Œuvres.
Rabelais arrive à Lyon à une date indéterminée, après son séjour à Montpellier (où il est reçu bachelier en médecine le 1er novembre 1530 et donne un cours comme stagiaire du 17 avril au 24 juin 1531). Il y exerce en tout cas une carrière de correcteur et d’éditeur scientifique à partir du printemps 1532. Il travaille pour Sébastien Gryphe, rue Mercière, où il donne des textes savants de l’Antiquité grecque et latine ou des textes néo-latins de la Renaissance. Chez François Juste, à quelques pas de là, devant Notre-Dame-de-Confort, il édite aussi des textes poétiques en vernaculaire.
Mais Rabelais fréquente également les ateliers d’imprimerie de Lyon en tant qu’auteur.
9 des 16 éditions de Pantagruel parues du vivant de Rabelais et dont on a conservé
au moins un exemplaire sont en effet publiées à Lyon. Ce chiffre pourrait même être porté à 10, s’il s’avère que l’édition de Claude La
Ville, datée de 1547, richement illustrée et fondée sur l’édition Dolet de 1542 (éd. 8Grands Annales tresveritables des Gestes merveilleux du grand Gargantua et Pantagruel
son filz, Roy des Dipsodes.
Lyon, Pierre de Tours, 1542-1543.), n’est en réalité pas imprimée à Valence, comme l’indique la page de titre, mais
à Lyon. En effet, presque tous les autres ouvrages portant le nom de Claude La Ville
mentionnent la ville de Lyon en page de titre (précisons ici que cette édition de
Claude La Ville, qui contient également la Pantagrueline Prognostication pour l’an 1547 et les merveilleuses navigations du disciple de Pantagruel, dict Panurge, ne doit pas être confondue avec sa contrefaçon qui conserve la même date mais est
en réalité bien postérieure : c. 1600 ?).
Surtout, les 6 éditions plus ou moins avouées par Rabelais sont toutes lyonnaises. Il s’agit des éditions de Claude Nourry (éd. 1Pantagruel. Les horribles et espoventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel
Roy des Dispodes, filz du grant geant Gargantua, Composez nouvellement par maistre
Alcofrybas Nasier.
Lyon, Claude Nourry, s. d. [c. 1532].), de son successeur Pierre de Sainte-Lucie (éd. 4Pantagruel. ΑΓΑΘΗ ΤΥΧΗ. Les horribles faictz et prouesses espoventables de Pantagruel
: Roy des Dipsodes, composez par M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, Pierre de Sainte-Lucie, 1535.) et de François Juste (éd. 2Pantagruel. Jesus Maria. Les horribles et espouventables faictz et prouesses du tresrenommé
Pantagruel, Roy des Dipsodes, filz du grant geant Gargantua, Compose nouvellement
par maistre Alcofrybas Nasier. Augmenté et Corrigé fraischement, par maistre Jehan
Lunel docteur en theologie.
Lyon, François Juste, 1533., 3Pantagruel. ΑΓΑΘΗ ΤΥΧΗ. Les horribles faictz et prouesses espoventables de Pantagruel
roy des Dipsodes, composes par M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1534., 5Les horribles faictz et prouesses espoventables de Pantagruel, roy des Dipsodes, composez
par feu M. Alcofribas, abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1537. et 7Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec ses faictz et prouesses
espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1542.). Les variantes y sont très nombreuses et le nombre de chapitres n’a cessé d’augmenté, même si on constate qu’aucun épisode
entier n’a été ajouté ou supprimé. Ces six éditions recourent toutes à la gothique bâtarde. Ce choix peut s’expliquer par des considérations économiques ou patriotiques selon
Henri-Jean Martin (voir Bibliographie; ici et ensuite, sauf mention contraire, les
références critiques sont données supra). Il s’agirait de s’adresser « à un public provincial, plus large sans doute que
le parisien, et sans doute moins accoutumé au caractère romain », mais aussi de refuser
« un simple alignement sur la typographie romaine par fidélité aux traditions et aux
sensibilités nationales ». Stephen Rawles considère pour sa part que le recours à
la gothique bâtarde relève d’une forme d’« humour typographique » : les caractères
gothiques, qui tendent à être supplantés par le romain à la fin de la décennie 1530,
confèreraient une dimension ironique et volontairement anachronique au texte rabelaisien,
tout particulièrement en 1542, à un moment où le romain s’est largement imposé pour
la prose. Ils seraient à mettre en relation avec l’image des silènes du prologue de
Gargantua. L’idée est séduisante, mais il pourrait aussi tout simplement s’agir d’habitudes
d’ateliers, prompts à publier certains types de textes en gothique, notamment les
narrations en prose.
En plus des seize éditions publiées du vivant de Rabelais, il faut mentionner une édition sans exemplaire attesté :
Pantagruel. Les horribles et espoventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel Roy des Dipsodes, filz du grant geant Gargantua, composez nouvellement par maistre Alcofrybas Nasier. Paris, s. n. [pour Guillaume Bigneaux], s. d. [1533 ?].
L’exemplaire conservé à la bibliothèque de Vienne, signalé en 1841 par Gustave Brunet dans ses Essais d’études bibliographiques sur Rabelais, est en effet réputé disparu [voir P. P. Plan, p. 47].
La première édition connue de Pantagruel paraît à Lyon chez Claude Nourry, dit « le Prince », sis près de Notre-Dame-de-Confort. Il pourrait bien s’agir de l’édition princeps : Rabelais a pu en effet souhaiter donner son texte à un imprimeur proche du milieu évangélique et des humanistes, en particulier depuis l’arrivée dans son atelier de son gendre, Pierre de Vingle, en 1525. Certains critiques se demandent cependant si cette édition Nourry n’a pas pu être précédée d’une édition chez Juste dont la carrière commence avec l’impression d’une adaptation en prose de la Nef des folz en 1530 – ouvrage hautement important dans la genèse de l’œuvre rabelaisienne.
L’édition Nourry n’a été transmise que par un seul exemplaire (Bnf, Rés. Y² 2146). Il présente des passages barrés à l’encre par une main du XVIe siècle, les feuillets C2 et C3 sont intervertis et le feuillet J1 a été arraché. Situé au milieu du chapitre 12, consacré aux « meurs et condictions de Panurge » (chapitres 16 et 17 dans l’édition Juste de 1542), ce feuillet comprend notamment la première contrepèterie de Panurge, l’épisode du « pauvre frater » qui montre malgré lui son « callibistris » lors de la messe des magistrats de la cour, ou encore le mot obscène sur le « trou » situé devant les dames.
Selon Michael Screech, l’usure des bois permet de situer l’édition Nourry entre août 1531 et mars 1533. Ce dernier critique a également émis l’hypothèse d’une datation interne, grâce à la mention au chapitre 5 des régents brûlés à Toulouse comme harans soretz (= « saurs » : « desséchés et fumés »). Il s’agirait d’une allusion à l’exécution, en juin 1532, de Jean de Caturce (ou de Cahors), professeur de droit suspecté d’hérésie, ce qui prouverait que l’ouvrage a été publié après cette date, peut-être pour la foire d’automne.
L’édition comporte 23 chapitres, ou plutôt 24 car il y a deux chapitres 9, intitulés respectivement « Comment Pantagruel trouva Panurge, lequel il ayma toute sa vie » et « comment Pantagruel equitablement jugea d’une controverse merveilleusement obscure et difficile, si justement que son jugement fut dit plus admirable que celluy de Salomon ». Cette anomalie a laissé supposer à certains critiques que la succession des épisodes est fautive et qu’un des deux chapitres 9 a dû être composé plus tard puis inséré dans le livre après l’achèvement du manuscrit. Pour deux éditeurs du texte, Robert Marichal puis V.-L. Saulnier, ce serait le chapitre 9 bis (l’épisode Baisecul-Humevesne) qui aurait été placé par erreur après le chapitre 9 (la rencontre de Panurge) et non après le chapitre 8 (la lettre de Gargantua à son fils). Pour Gérard Defaux, ce serait plutôt le chapitre 9 qui aurait été interpolé tardivement car l’apparition de Panurge interrompt la séquence de l’éducation de Pantagruel (Rabelais Agonistes, Études rabelaisiennes, XXXII, 1997, p. 248). Dans le même esprit, Charles Béné (« Érasme et le chapitre 8 du premier Pantagruel », Paedagogica Historica. International Journal of the History of Education 1, 1961, p. 39-66) et Marcel Françon (Autour de la lettre de Gargantua à son fils, Cambridge, 1964) considèrent que le chapitre 8 est le chapitre interpolé car le style cicéronien et le caractère très sérieux de la lettre de Gargantua tranchent avec le ton des chapitres environnants. Mais Edwin Duval (The design of Rabelais’s Pantagruel, 1991, chapitre 3, note 5) fait remarquer que Rabelais n’a jamais modifié la succession des chapitres et s’est contenté de régler le problème de la numérotation fautive (dans l’édition Juste 1542, fondée sur celle de Harsy 1537).
Michael Screech considère que les bois de la page de titre évoquent pour le lecteur de l’époque un grave ouvrage de droit en latin : il s’agirait d’annoncer le « comique juridique » de maints chapitres, tout en tranchant avec le choix d’écrire une parodie de romans de chevalerie. Mais comme le fait remarquer Henri-Jean Martin, cet encadrement ne se trouve pas uniquement sur des ouvrages en latin (de droit mais aussi de religion) et a déjà été utilisé chez Claude Nourry pour un autre livre en français, écrit par Symphorien Champier, sous le pseudonyme de Morien Piercham : De l’antiquité, origine et noblesse de la très antique cité de Lyon [1529 ?]. L’historien du livre propose alors, au rebours de Michael Screech mais à l’instar de V.-L. Saulnier dans son édition de Pantagruel, une lecture silénique de cette « ensigne exteriore (c’est le tiltre) ». De fait, le titre complet rattache étroitement l’œuvre à l’univers des grandes et inestimables Chronicques du grant et enorme geant Gargantua, 1532 (avec mention de Lyon au colophon), en mettant en avant la filiation du héros avec le géant Gargantua : Les horribles et espoventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel Roy des Dipsodes / filz du grant geant Gargantua / Composez nouvellement par maistre Alcofrybas Nasier.
Il s’agit de la première édition datée de Pantagruel. La devise « JESUS MARIA » se trouve en haut de l’encadrement de la page de titre, comme pour l’édition Juste de L’Adolescence clementine du 23 février 1533. Le livre est dit « Augmenté et Corrigé fraischement, par maistre Jehan Lunel docteur en theologie », ce qui n’est pas sans annoncer les magistri nostri de la bibliothèque de Saint-Victor. Le seul exemplaire connu, anciennement conservé à Dresde et qu’on a longtemps cru détruit en 1945 par les bombardements alliés, a été retrouvé en 2003 à la bibliothèque d’État de Moscou : il figure dans un recueil factice qui comprend aussi le texte des Chronicques et celui de la Pantagrueline Prognostication pour l’an 1534.
Le Pantagruel de Juste 1534 est, avec la Pantagrueline Prognostication pour l’an 1535, Juste, c. 1534, le Gargantua de Juste, 1535 et le Pantagruel de Sainte-Lucie, 1535 (éd. 4Pantagruel. ΑΓΑΘΗ ΤΥΧΗ. Les horribles faictz et prouesses espoventables de Pantagruel
: Roy des Dipsodes, composez par M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, Pierre de Sainte-Lucie, 1535.), l’une des quatre rééditions des livres de Rabelais qui comporte sur la page de
titre la devise ΑΓΑΘΗ ΤΥΧΗ, « À la bonne fortune ». Il s’agit de la devise de Rabelais éditeur, qui figure dans
certaines éditions savantes en latin parues à Lyon chez Sébastien Gryphe et en haut
de l’encadrement de la page de titre d’une série de textes poétiques en vernaculaire
publiés en 1534-1535, chez François Juste (œuvres de Marot, de Coquillart, Fleurs de Poesie francoyse). Rabelais a certainement voulu se démarquer des nombreuses contrefaçons qui circulaient
déjà en authentifiant cette nouvelle réédition de son livre. Dans le titre, Rabelais
supprime la mention de la filiation entre Pantagruel et le Gargantua des Grandes chroniques.
Tout se passe comme si le géant éponyme était désormais suffisamment connu pour se
passer de la référence à son antécédent littéraire.
L’édition procède à un redécoupage en 29 chapitres des 24 chapitres de l’édition Nourry
(éd. 1Pantagruel. Les horribles et espoventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel
Roy des Dispodes, filz du grant geant Gargantua, Composez nouvellement par maistre
Alcofrybas Nasier.
Lyon, Claude Nourry, s. d. [c. 1532].) et de l’édition Juste de 1533 (éd. 2Pantagruel. Jesus Maria. Les horribles et espouventables faictz et prouesses du tresrenommé
Pantagruel, Roy des Dipsodes, filz du grant geant Gargantua, Compose nouvellement
par maistre Alcofrybas Nasier. Augmenté et Corrigé fraischement, par maistre Jehan
Lunel docteur en theologie.
Lyon, François Juste, 1533.). Rabelais divise en en effet le procès de Baisecul et Humevesne en trois chapitres,
le portrait de Panurge en deux chapitres, le débat par gestes avec Thaumaste en deux
chapitres et le tour joué par Panurge à la haute dame de Panurge en deux chapitres,
ce qui ajoute cinq chapitres à la séquence qui précède le récit de la guerre contre
les Dipsodes.
La critique a souligné la cohérence des modifications orthographiques et syntaxiques pratiquées dans ces éditions, cette « seconde manière » (Charles Brunet) de Rabelais qu’elle a pu interpréter comme un souci d’« archaïsation du style » (Gérard Defaux) ou comme une volonté de créer une « langue d’artifice » (Mireille Huchon). Les modifications ne sont en effet pas conformes à l’usage le plus fréquent : emploi cohérent des signes auxiliaires (apostrophe, tréma, accents) et du système de la « censure antique », suppression massive des renforcements de la négation en « pas », préférence pour les formes du démonstratif en icellui et icelle et pour le relatif lequel, etc…
De très nombreux passages sont ajoutés : le dizain de Hugues Salel « à l’auteur de
ce livre » et la formule « Vivent tous bons Pantagruelistes » (elle sera supprimée
dans l’édition Denis de Harsy de 1537 (éd. 6Pantagruel. [Faux titre :] Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec
ses faictz et prouesses espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur
de quinte essence.
S. l. [Lyon], s. n. [Denis de Harsy], 1537-1538.) et dans celle de Juste 1542 (éd. 7Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec ses faictz et prouesses
espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1542.)), le développement sur les nez qui croissent (chap. 1), le discours en danois de
Panurge polyglotte (chap. 9), ou encore la liste des livres de la bibliothèque Saint-Victor
(72 titres supplémentaires ainsi que dix nouveaux théologiens réels) et celle des
damnés de l’enfer (elle passe de 46 noms dans l’édition Nourry à 82 noms). Ces ajouts
visent notamment à accentuer la propagande évangélique, dans le contexte de la lutte
de l’entourage royal et des évangéliques contre la faculté de théologie de Paris en
1533-1534. La satire des théologiens est en effet fortement amplifiée (voir Mireille
Huchon, « Rabelais et les théologiens », dans Religion et littérature à la Renaissance. Mélanges en l’honneur de Franco Giacone, dir. Fr. Roudaut, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 121-220).
Cette nouvelle édition avec la devise de Rabelais éditeur comporte quelques additions
non retenues par la suite. Elle ne subsiste aujourd’hui dans un bon état de conservation
que dans l’exemplaire de la British Library, Londres, 245 f. 43 (celui de la bibliothèque
Méjanes à Aix-en-Provence est mutilé). Publiée par Pierre de Sainte-Lucie, le successeur
de Nourry après son mariage avec sa veuve, Claude Carcan, elle imite la présentation
de l’édition Nourry (éd. 1Pantagruel. Les horribles et espoventables faictz et prouesses du tresrenommé Pantagruel
Roy des Dispodes, filz du grant geant Gargantua, Composez nouvellement par maistre
Alcofrybas Nasier.
Lyon, Claude Nourry, s. d. [c. 1532].). Rabelais n’a visiblement pas surveillé l’impression de cette édition : le texte ne comporte en effet aucun signe auxiliaire et élimine les caractéristiques
orthographiques de l’édition précédente.
Cette édition de Pantagruel (suivi de la Pantagrueline Prognostication pour l’an 1537), est toujours divisée en 29 chapitres mais elle comporte quelques variantes propres.
Elle présente avec l’édition suivante (éd. 6Pantagruel. [Faux titre :] Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec
ses faictz et prouesses espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur
de quinte essence.
S. l. [Lyon], s. n. [Denis de Harsy], 1537-1538.) une série de points communs mais aussi de divergences qui laisse supposer l’existence
d’une édition aujourd’hui disparue [Juste, 1535 ?]. Elle ne sera pas reprise pour composer l’édition Juste de 1542 (éd. 7Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec ses faictz et prouesses
espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1542.).
Cette édition de Pantagruel (suivi de la Pantagrueline Prognostication pour l’an 1538), sans nom d’imprimeur, est datée de 1537 dans certains exemplaires et de 1538 dans d’autres. Elle est imputable à Denis de Harsy, un concurrent de François Juste sur le marché du livre vernaculaire, connu pour avoir imprimé une collection d’élégants petits livres français pour Romain Morin (1530-1532). Négligeant les signes diacritiques, cette édition ne semble pas avoir été autorisée par Rabelais, même si certaines variantes sont authentiques.
Denis de Harsy recourt à la typographie romaine, intercale de nombreux bois qui éclaircissent le texte, constitue des paragraphes, notamment dans certains passages fondés sur une énumération (la rencontre avec Panurge, le premier chapitre avec Thaumaste, les tentatives de décryptage des lettres invisibles, mais aussi quelques autres énumérations plus courtes) et dispose de manière verticale les titres de la bibliothèque de Saint-Victor ainsi que la liste des damnés de l’enfer d’Epistemon.
Trois nouveaux chapitres sont ajoutés. Sont en effet dédoublés le chapitre 21 de l’édition Juste de 1534 (« Comment Pantagruel partit de Paris, oyant nouvelles que les Dipsodes envahissaient le pays des Amaurotes. Et la cause pourqui les lieus sont tant petites en France. Et l’exposition d’un mot écrit en un anneau »), le chapitre 22 (« Comment Panurge, Carpalim, Eusthenes, et Epistemon, compagnons de Pantagruel, déconfirent six cent soixante chevaliers bien subtilement ») et enfin le dernier chapitre : le développement final forme désormais un chapitre autonome, doté d’un titre (« la conclusion du present livre et l’excuse de l’auteur »).
Rabelais n’a pas suivi le texte de l’édition Juste 1537 (éd. 5Les horribles faictz et prouesses espoventables de Pantagruel, roy des Dipsodes, composez
par feu M. Alcofribas, abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1537.) et s’est vraisemblablement servi d’un exemplaire corrigé de l’édition de Harsy (éd. 6Pantagruel. [Faux titre :] Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec
ses faictz et prouesses espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur
de quinte essence.
S. l. [Lyon], s. n. [Denis de Harsy], 1537-1538.) pour publier chez Juste, 1542, cette nouvelle édition de Pantagruel (suivi de la Pantagrueline Prognostication pour l’an perpetuel). Si les caractères romains sont abandonnés, en revanche la disposition verticale
des titres de la « librairie » de Saint-Victor et des damnés de l’enfer d’Epistemon
a été conservée. Par ailleurs, la page est aérée par un recours régulier à de longs
blancs typographiques que les éditeurs modernes choisissent en général de transformer
en paragraphes (c’est le cas d’A. Lefranc, de G. Demerson, de M. Huchon, mais pas
de F. Gray).
Dans la mesure où il s’agit de la dernière édition revue par l’auteur, elle est souvent choisie comme texte de base par les éditeurs modernes, au même titre que le Gargantua que Juste publie la même année et que le Tiers Livre et le Quart Livre en caractère romains sortis de l’atelier de Michel Fezandat en 1552. Cependant, les éditions du Pantagruel et du Gargantua de Juste 1542 sont beaucoup moins soignées que les éditions Fezandat. Et Rabelais n’y a pas réintroduit les particularités orthographiques mises en place en 1534 mais que de Harsy n’avait pas bien respectées.
Le nombre de chapitres atteint 34, à la suite du dédoublement du chapitre consacré aux plaidoiries de Baisecul et Humevesne, et de celui du deuxième chapitre consacré au débat par signes entre Thaumaste et Panurge.
Les additions sont très nombreuses (par exemple dans l’épisode de Thaumaste qui compte désormais onze échanges de signes), de même que les suppressions. Rabelais fait ainsi disparaître certaines mentions des termes « théologien(s) », « sorbonagre(s) » ou encore « sorboniste(s) », cependant qu’il remplace presque toutes les autres par le mot « sophiste(s) », qui désigne le maître de rhétorique et de philosophie dans le Grèce antique et, au XVIe siècle, le professeur de dialectique à la faculté des arts.
L’édition pirate de Pantagruel (suivi de la Pantagrueline Prognostication pour l’an 1542), que Dolet réalise également à partir d’un exemplaire de l’édition de Harsy (éd. 6Pantagruel. [Faux titre :] Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec
ses faictz et prouesses espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur
de quinte essence.
S. l. [Lyon], s. n. [Denis de Harsy], 1537-1538.), ne tient pas compte des modifications de l’édition Juste 1542 (éd. 7Pantagruel, Roy des Dipsodes, restitué a son naturel, avec ses faictz et prouesses
espoventables : composez par feu M. Alcofribas abstracteur de quinte essence.
Lyon, François Juste, 1542.), lui adjoint le texte des « Navigations de Panurge » et soumet en plus le texte
de Rabelais aux particularités d’accentuation et de ponctuation de son atelier.
Sous le titre Grands Annales tresveritables des Gestes merveilleux du grand Gargantua et Pantagruel
son filz, Roy des Dipsodes, Pierre de Tours, le beau-fils et collaborateur de François Juste, publie un pamphlet
anonyme de quatre pages et demi (« L’imprimeur au lecteur, Salut ») contre « la bastarde,
et adulterine edition du present œuvre » par un « Plagiaire, homme encliné à tout
mal ». Il le place en tête de certains exemplaires des Gargantua et Pantagruel de
Juste parus en 1542. Le texte, qui pourrait bien être de Rabelais, vise Dolet, l’imprimeur
de la contrefaçon précédente (éd. 8Grands Annales tresveritables des Gestes merveilleux du grand Gargantua et Pantagruel
son filz, Roy des Dipsodes.
Lyon, Pierre de Tours, 1542-1543.). Ce rhabillage des éditions de Juste, 1542, sera contrefait à Caen, la même année, par les successeurs de l’atelier Hostingue
(voir plus haut « Autres éditions anciennes »).
La vie tres-horrificque du grand Gargantua, père de Pantagruel est suivie du second livre de Pantagruel, restitué à son naturel et enfin de la Pantagrueline Prognostication pour l’an perpetuel. Comme dans l’édition 7b, l’ordre des générations est privilégié sur l’ordre de publication.
Nicolas Le Cadet
04/11/2011
08/06/2016
Citer cette noticeNicolas Le Cadet, « Pantagruel », in base ELR : éditions lyonnaises de romans du XVIe siècle (1501-1600), Pascale Mounier (dir.), en ligne : https://rhr16-elr.unicaen.fr/fiches/104 [consulté le 21/11/2024]