Type d’ouvrage : roman français d’aventures de type médiéval
Auteur : Jean d’Arras
On peut signaler dix autres éditions anciennes de la première impression jusqu’au début du XVIIe siècle :
Il n’existe pas d’édition moderne.
Le roman de Geoffroy à la Grand Dent, qui raconte les faits et gestes du sixième fils de la fée Mélusine et de Raymondin, est, en fait, un extrait de la version imprimée du roman de Mélusine, composé en prose par Jean d’Arras à la fin du XIVe siècle et passé à l’imprimé à Genève chez Adam Steinschaber en août 1478. C’est d’ailleurs dans Mélusine que l’on apprend que le redouté Geoffroy, « fort à merveilles, hardy et cruel », avait reçu à la naissance ce surnom à cause d’« une grant dent qui luy sailloit de la bouche plus d’ung poulce » (Melusine, Paris, Thomas Du Guernier pour Jean Petit, s. d. [c. 1503] ; exemplaire : Paris, Bnf, RES-Y2-177, consultable en ligne). Aucune allusion à la dent merveilleuse, marque thériomorphe de sa filiation, n’apparaît cependant dans le roman qui le voit protagoniste.
Le roman de Mélusine avait été imprimé dans son intégralité à plusieurs reprises, d’abord à Genève et à Lyon et ensuite, au tournant du siècle, à Paris dans des éditions in-folio imprimées pour Jean Petit par Pierre Le Caron (ap. février 1498 ; ISTC, ij00218410) et par Thomas du Guernier (c. 1503; ISTC, ij00218415).
Lorsqu’en 1517 Le Noir reprend le roman dans un format in-quarto, il ne reproduit pas le texte de ses devanciers, mais il procède à un remaniement en profondeur en éliminant du roman le récit des aventures de son sixième fils, Geoffroy à la grand dent, qui étaient intercalées à l’histoire principale de Mélusine. Son édition, datée du 14 août 1517, nous est parvenue dans un seul exemplaire conservé à Senlis (BM, RP 3304/4°). Le roman de Geoffroy à la Grand Dent est ainsi le résultat de l’extraction du récit des aventures de Geoffroy du roman de Melusine effectuée vraisemblablement à l’occasion de l’édition de Melusine de Le Noir en 1517.
Une dizaine d’années plus tard, la version allégée de Mélusine de Le Noir est reprise dans deux éditions non datées de son fils Philippe Le Noir (exemplaire : Paris, Ars, 4° BL 4338, disponible en ligne) et de Jean II Trepperel (exemplaire : Paris, Bnf, Rés. P-Y2-2788, dont les illustrations sont disponibles en ligne), datée d’après le matériel aux environs de 1526 (Moreau, 3, 1038). L’examen de la gravure sur bois que les deux éditions partagent au titre permet d’établir l’antériorité de celle de Jean II Trepperel. Peu de temps après, ce dernier publie aussi Les faitz et gestes des nobles conquestes de Geoffroy à la grand dent, qui contient la partie extraite de la version intégrale de Mélusine.
L’édition de Mélusine de Michel Le Noir dessine ainsi en creux la place d’une version détachée autonome de l’histoire du Geoffroy, qu’il a fait extraire et que selon toute vraisemblance il a publiée dans une édition aujourd’hui perdue. C’est l’hypothèse de L. Harf-Lancner, qui souligne aussi le travail minutieux de découpage que le remanieur a opéré dans le roman de Mélusine (voir Harf-Lancner, « Le roman de Mélusine », p. 361-365). Le nouveau roman est doté d’un prologue, sans doute rédigé à l’occasion de l’opération éditoriale, où l’on trouve, entre autres considérations, une évocation des divisions politiques que connaît l’Italie contemporaine introduite par une citation de la version française de la sentence de Salluste « Nam concordia parvae res crescunt, discordia maximae dilabuntur » (Bellum Iugurthinum, 10, 6).
L’extraction, effectuée pour le compte de Michel Le Noir par un remanieur habile et cultivé, a donné ainsi naissance à deux romans distincts qui auront, dès lors, une existence séparée et autonome.
Harf-Lancner observe que cette « ultime métamorphose » de Mélusine, « loin de trahir le roman médiéval, ne fait que matérialiser la dichotomie inhérente à l’oeuvre de Jean d’Arras » (art. cit., p. 350), fondée sur l’entrelacement des histoires de Mélusine et de Geoffroy. Des coupures, plus ou moins étendues, concernant les exploits de Geoffroy avaient d’ailleurs déjà affecté le roman de Mélusine dans certains manuscrits des années 1460-1480 (voir Vincensini, « Introduction », p. 82-83). La tendance à la réduction de la place, encombrante, occupée par Geoffroy dans le roman, voire à son effacement, qui répondait sans doute à des exigences tant éthiques qu’esthétiques, trouve sa réalisation dans les versions imprimées à partir de la fin des années 1510 grâce à un libraire imprimeur qui saisit l’occasion pour enrichir son fonds de commerce d’un nouveau titre de roman.
Si, comme on l’a remarqué, la nouvelle Mélusine abrégée, ou plutôt allégée de l’histoire tumultueuse de son sixième fils, « s’enrichit de l’absence de Geoffroy » (Vincensini, « Introduction », p. 82), l’histoire du roman français acquiert un nouveau titre destiné à une longue fortune éditoriale – et un nouveau héros romanesque hors du commun, dont Rabelais fera en 1532 l’ancêtre de son Pantagruel.
La plus ancienne édition connue du roman a donc paru sans date à Paris chez Jean II Trepperel sous le titre Les faitz et gestes des nobles conquestes de Geoffroy à la grand dent. Le seul exemplaire de l’édition, conservé autrefois à la Bibliothèque Colombine de Séville, est décrit dans le Catalogue Fairfax Murray (London, 1910, 186), qui donne aussi la reproduction de la page de titre (voir infra, Éditions non localisées). L’examen du bois du titre, qui représente un chevalier brandissant une épée, permet d’établir que l’édition précède celle de Maugist d’Aigremont, imprimé pour Jean II Trepperel le 10 septembre 1527 (exemplaire : Paris, Bnf, Rés Y2-616), où le même bois présente des signes d’usure supplémentaires. Ce bois est une copie du bois figurant Bertrand du Guesclin dans l’édition des Neuf Preux de 1507 de Michel Le Noir, qui le réemploiera au titre de ses éditions de Tristan (1514 ; 1520).
Le roman est réédité à Paris, toujours à l’atelier de l’Écu de France, par Nicolas Chrestien, actif entre 1547 et 1557, et à « l’enseigne Sainct Nicolas » par Jean Bonfons, actif entre 1543 et 1566, et par Nicolas Bonfons, qui exerce à cette adresse à partitir de 1573.
À Lyon, les deux éditions d’Olivier Arnoullet, la première non datée, mais imprimée aux environs de 1530 (éd. 1S’ensuyt les faitz et gestes des nobles conquestes de Geoffroy à la grant dent seigneur
de Lusignen et siziesme fils de Raymondin conte dudict lieu et de Melusine.
Lyon, Olivier Arnoullet, s. d. [av. juin 1529 ?].), et la deuxième de 1549 (éd. 2S’ensuyt les faitz et gestes des nobles conquestes de Geoffroy à la grant dent seigneur
de Lusignen et siziesme fils de Raymondin conte dudict lieu et de Melusine.
Lyon, Olivier Arnoullet, 25 octobre 1549.), seront suivies de celles, imprimées en caractères romains et dans un format in-octavo,
de Benoît Rigaud en 1580 (éd. 3Les gestes, faits, et notables conquestes du preux, hardy, et redouté Cheualier Geoffroy
à la Grant Dent, Seigneur de Lusignan et sixiesme fils de Raymondin & Melusine, Comte
et Comtesse dudit Lusignan. Avec l’auenture qui survint au Roy d’Armenie de veiller
l’espervier.
Lyon, Benoît Rigaud, 1580.) et en 1597 (éd. 4Les gestes, faits, et notables conquestes du preux, hardy, et redouté Cheualier Geoffroy
à la grant dent Seigneur de Lusignan, et sixiesme fils de Raymondin & de Melusine,
Comte et Comtesse dudit Lusignan. Avec l’avanture qui survint au Roy d’Armenie de
veiller l’Esperuier.
Lyon, Benoît Rigaud, 1597.).
Au XVIIe siècle plusieurs reéditions se succèderont chez les imprimeurs de livrets populaires à Troyes (Noël Moreau, 1614 ; Nicolas Oudot, s. d., mais av. 1630 ; 1630) et à Rouen (Richard Aubert, 1617 ; Jean Oursel, 1681).
L’hypothèse d’une première édition, aujourd’hui perdue, de Geoffroy à la Grand Dent imprimée vers 1517 par Michel Le Noir, fondée sur l’existence de son édition allégée de Mélusine publiée en 1517, est corroborée par nos connaissances sur les pratiques éditoriales adoptées par ce libraire imprimeur parisien dans le cas d’autres créations d’atelier (voir Cappello, « Michel Le Noir (1486-1520), éditeur de romans »).
Le seul exemplaire connu de l’édition sans date de Jean II Trepperel est actuellement non localisé. Publié sous le titre Les faitz et gestes des nobles conquestes de Geoffroy à la grand dent seigneur de Lusignen et sixiesme filz de Meusine et de Raymondin conte dudit lieu, il était conservé à la Bibliothèque Colombine de Séville, d’où il a été dérobé au début des années 1880 pour réapparaître dans le Catalogue de la bibliothèque de feu M. le baron Jérôme Pichon (Paris, Techner, 1897, I, n° 970). L’exemplaire est décrit par Huges W. Davies dans le Catalogue of Early French Books in the library of C. Fairfax Murray (London, 1910, n° 186), où l’on trouve une reproduction de la page de titre (voir : FVB, 22657 ; USTC, 79177 ; Bechtel, G-55).
In-4°, goth., sign. a-m4, 48 ff. non numérotés, 35 longues lignes par page.
Le titre, imprimé en rouge et noir, comprend une grande gravure sur bois représentant un couple formé d’une dame et d’un chevalier armé tenant une oriflamme.
Mentionné dans : Baudrier, X, 48 ; Bechtel G-57 ; FVB, 22656 ; USTC 1004.
[S]Ensuyt les faitz et ge- // stes des nobles con= // questes de Geoffroy // a la gra[n]t dent seigneur de Lusigne[n] et si= // ziesme fils de Raymo[n]din co[n]te dudict lieu et de Melusi= // ne // [gravure].
¶ Cy finist les faitz et gestes des nobles conque // stes de Geoffroy a la gra[n]t dent sixiesme filz de Me // lusine et de Raymondin conte de Lusignen. Auec // une aduenture qui aduint a ung roy darmenie de // veiller lesperuier. Imprime a Lyo[n] sur le rosne pres // nostre dame de confort par Oliuier Arnoullet.
L’exemplaire fait partie d’un recueil factice conservé à la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel (A: 142:3 Quod) qui comprend sept pièces, dont cinq romans – Doolin de Mayence (s. d.), Gerard de Roussillon (s. d.), Geoffroy à la grand dent (s. d.), Florent et Lyon (1526), Ponthus et Sidoine (s. d.) –, ainsi que le Guidon et gouvernement des gens mariez (s. d.) et les Cinquante et un arrêts d’amour (1527), toutes imprimées par Olivier Arnoullet. Le volume est doté d’une reliure en cuir de l’époque et d’un ex-libris manuscrit « 1547 HF » (au dernier feuillet de Florent et Lyon, f. H4r°), qui montrerait qu’il a été confectionné au plus tard en 1547. Une confirmation de l’antériorité de l’édition non datée de Geoffroy sur celle datée de 1549 nous vient des caractères typographiques utilisés par Arnoullet. L’édition non datée est imprimée en lettre gothique ronde tandis que la réédition de 1549 est imprimée en lettre gothique bâtarde. Or, nous savons qu’Arnoullet imprime en gothique ronde (ou rotunda) jusqu’à la fin des années 1520 pour passer ensuite à la lettre bâtarde (voir William Kemp, Les bâtards lyonnais – 1480-1560 environ, 2013, disponible en ligne). Plus exactement, en ce qui concerne ses éditions de romans pourvues d’une date, le tournant semble se situer entre le 4.VIII.1528, date de l’impression du Romant de la Belle Helayne (exemplaire : Paris, Ars, 4-BL-4345 Rés., consultable en ligne), et le 1.VI.1529 du Florimont (exemplaire : Paris, Ars, 4-BL-4285 Rés.). À partir de cette date l’usage de la bâtarde se généralise à toutes ses éditions de romans, même si Arnoullet continue à utiliser une gothique ronde pour l’édition du Blason des couleurs imprimée le 6.IX.1530 (exemplaire : Lyon, BM, Rés 805407bis, consultable en ligne) ou celle du 12.VII.1532 des Cent nouvelles (exemplaire : Lyon, BM, Rés 357161, consultable en ligne). Il paraît ainsi plausible que le roman de Geoffroy à la grand dent ait été imprimé avant juin 1529, ou, au plus tard, avant le tout début des années 1530.
L’édition est dépourvue, sauf au titre, d’illustrations. Le bois au titre, qui mesure env. 120 x 90 mm., avait été utilisé par Jean de La Fontaine dans son édition de Pierre de Provence imprimée en 1490 (a. st.) (ff. a1r°, a1v°, e7v° ; exemplaire : Paris, Ars., 4-BL-4301 RES, consultable en ligne). Arnoullet le réemploie à plusieurs reprises pour illustrer ses éditions de romans, par exemple au verso du titre de son Huon de 1545 (exemplaire : Paris, BnF, RES-M-Y2-106, consultable en ligne) et de son Morgant de 1548 (exemplaire : Wolfenbüttel, HAB, A: 292.11 Hist, consultable en ligne).
In-4°, goth., sign. A-M4, 48 ff. non numérotés, 35 longues lignes par page.
La page de titre, imprimée en noir, comprend la même gravure sur bois que l’édition non datée précédente figurant un couple formé d’une dame et d’un chevalier armé tenant une oriflamme. L’édition ne comporte qu’une seule autre gravure sur bois à la fin du volume (f. M4v°).
Mentionné dans : Baudrier, X, 84 ; Bechtel G-56 ; FVB, 22658.
¶ Sensuyt les faictz & gestes // des nobles co[n]questes de Geoffroy a // la gra[n]t de[n]t seigneur de Lusignen // et siziesme filz de Raymondin co[n] // te dudict lieu & de Melusine. // [gravure].
¶ Cy finist les faictz et gestes des nobles conque // stes de Geoffroy a la gra[n]t de[n]t sixiesme filz de me- // lusine et de Raymondin conte de Lusignen. Auec // une aduenture qui aduient a ung roy darmenie de // veiller lesperuier. Imprime a Lyon sur le Rosne // pres nostre dame de co[n]fort par Oliuier Arnoullet. // Le .xxv. de Octobre .Mil.CCCCC.xlix.
La réédition de 1549, imprimée en lettre gothique bâtarde, reproduit à l’identique la composition de l’édition précédente non datée, imprimée en lettre gothique ronde. La seule différence notable concerne l’insertion d’une gravure sur bois à la fin du volume. Cette gravure, placée au verso du dernier feuillet, figure une dame sortant d’une tour qui remet une bourse à un gentilhomme. Il s’agit d’un bois de réemploi déjà utilisé par les frères Gilles et Jacques Huguetan dans leur édition de Giglan et Geoffroy de 1539 (ff. B4r°, D1v°, H8r° ; exemplaire : Paris, BnF, RS-Y2-569, consultable en ligne).
L’édition est conservée dans deux autres exemplaires. L’exemplaire de Paris (BENSBA, Masson 0692) est incomplet du premier feuillet, comprenant le titre et, au verso, le Prologue, et du dernier feuillet avec le colophon et, au verso, le bois avec le couple. Les deux feuillets arrachés ont été refaits à la main. L’exemplaire de New York (PML, E2 47 B) a circulé dans plusieurs ventes au cours du XIXe siècle.
Sergio Cappello
04/11/2011
12/02/2021
Citer cette noticeSergio Cappello, « Geoffroy à la grant dent », in base ELR : éditions lyonnaises de romans du XVIe siècle (1501-1600), Pascale Mounier (dir.), en ligne : https://rhr16-elr.unicaen.fr/fiches/82 [consulté le 21/11/2024]