Type d’ouvrage : roman français sentimental contemporain
Auteur : Nervèze, Antoine de
Pour la période des débuts de l’imprimerie jusque vers 1620, on peut signaler 14 autres éditions françaises, séparées ou en recueils.
Les Chastes et Infortunées Amours du Baron de l’Espine, et de Lucrece de la Prade d’Antoine de Nervèze est un petit roman d’aventures sentimentales que l’auteur présente comme une histoire véritable, un roman à clef, presque une chronique mondaine, même si le récit s’apparente à une fiction.L’ancrage factuel réside essentiellement dans le décor gascon et les allusions au passé récent des guerres de religion, mais les aventures relèvent de situations romanesques stéréotypées.
Originaire d’Angers ou de Poitiers où il passe sa jeunesse, Antoine de Nervèze (vers 1558-vers 1622) est secrétaire de la chambre du roi Henri IV lorsqu’il publie
en 1598 Les Amours de Lucrèce à Paris chez Antoine du Brueil ainsi qu’à Langres pour Pierre Pimy. Un an après,
en 1599, paraît la première impression lyonnaise in-12 de ce roman chez Benoît Rigaud (éd. 1Les Chastes et Infortunées Amours du Baron de l’Espine, et de Lucrece de la Prade,
du pays de Gascogne.
Lyon, Benoît Rigaud, 1599.).
L’édition des Amours de Lucrèce réalisée par Antoine du Brueil, qui exerce à Paris de 1589 à 1620, en 1598 comprend en fin d’ouvrage le « consentement de l’Autheur » et un extrait du privilège du roi. Le premier document, signé d’Antoine de Nervèze, indique « faict à Paris ce 29 de janvier 1598 » et il spécifie qu’Antoine du Brueil a l’exclusivité de sa production : « Je consens que Anthoine du Brueil, marchant Libraire à Paris, imprime, ou face imprimer ce present livre, et ensemble toutes les œuvres que j’ay faictes ou feray cy apres, sans qu’autres Libraires ou Imprimeurs les puissent imprimer ou faire imprimer que luy seul, sous quelconque pretexte que ce soit. ».
L’extrait du privilège, daté de Paris le 30 janvier 1598, est signé De L’Estrille. Il apporte des précisions sur la durée de l’exclusivité (10 ans) et sur les conditions de publication par un autre imprimeur ou libraire : « deffenses sont faictes à tous autres Libraires et Imprimeurs de ce Royaume, de les imprimer, sans le congé et consentement dudit du Brueil ».
La même année paraît à Langres une édition « pour Pierre Pimy », dont un unique exemplaire annoté, ayant appartenu à Charles Nodier, est conservé au musée Paul Arbaud d’Aix-en-Provence (voir « Éléments du paratexte : saisie personnelle »).
À partir de 1605, l’ouvrage est aussi édité en recueils de sept, puis de dix histoires. Le premier, intitulé Les Amours diverses, divisées en sept histoires, sort à Paris chez Antoine du Brueil, qui cède en 1608 le droit à l’imprimeur lyonnais, Thibaud Ancelin, comme indiqué à la fin de l’édition, « d’imprimer, vendre et debiter lesdites œuvres du Sieur de Nerveze, ainsi qu’il a esté accordé entr’eux ès Estudes des Notaires soubsignez le 17 juin 1598. Manchevelle. Des Quatrivavix ».
Barthélémy Ancelin, fils de Thibaud, lui succède comme imprimeur-libraire et imprimeur ordinaire du roi en 1608 : il reprend l’édition des Amours de Nervèze en 1612 avec un privilège du roi, placé en fin d’ouvrage et daté de 1608, qui stipule : « Par la grace et Privilege du Roy, il est permis à Thibaud Ancelin Imprimeur de sa Majesté, d’imprimer ou faire imprimer, Les œuvres du sieur de Nerveze : Secretaire de la chambre du Roy : Et sont faites defenses à tous Libraires et Imprimeurs de ce Royaume, les imprimer ou faire imprimer, vendre ny debiter, pendant le temps de six ans entiers et accomplis, fors à Anthoine du Brueil, marchand Libraire Juré en l’Université de Paris […]. Donné à Paris, le 19, jour de May, 1608. ».
Le n°2 de la cote correspond à la pièce 2 du recueil factice coté R 929.
Au début du livre, sur la page de garde, est écrit : « Le présent exemplaire appartient à Charles Nodier [ex-libris sur la première page de garde de la couverture]. Il fut vendu en 1844, (n° 771 du catalogue) 15 francs. Il reparait en 1855* sur l’un des catalogues de la librairie Potier et il fut coté 40 francs (n° 2301 du catalogue). Je le demandai mais trop tard. Il avait été grapillé par le bibliophile Solar. Celui-ci ne le garda pas longtemps et je le retrouvais en 1860 au n° 1828 de son catalogue. Il me fut adjugé à 61 francs. Peut-être vaudrait-il davantage car aucune des diverses pièces de ce recueil n’est anonyme. Les Bocagères amours de Daphnis, revues et corrigées par un quidam, qui parait être Antoine Dubreuil ne sont pas une de ses moindres singularités. Mais pour nous autres provençaux il nous faut citer surtout les Amours de Filandre et de Marizée, par le sieur Nervèze. Cet opuscule imprimé à Marseille en 1598 par Jean Symonet parait-être le seul exemplaire connu de l’unique livre imprimé par cet éditeur. Ce n’est pas que ce soit un chef- d’œuvre, bien s’en faut mais c’est une rareté et le bibliomane n’a jamais en l’esprit d’en demander davantage. Janvier 1874. »
Outre les éléments transcrits ci-dessous le paratexte contient avant le texte un sonnet « L’Autheur à son Livre » et après le texte un sonnet « L’Autheur aux deux amans ».
Ainsi portant ma volonté à la satisfaction de ce que je dois à la tombe de deux Amans, ausquels le Ciel fust favorable à leurs premiers vœux, et rigoureux à leurs derniers desirs, j’ay levé la pierre de leur monument pour relever leur gloire qui estoit quasi suffoquée dans leurs propres cendres, sur lesquelles j’ay voulu bastir l’Histoire de leurs Amours, et decorer ce bastiment de leur fidelité, qui fust l’appuy, et la ruine de leurs vies, la naissance, et la mort de leur contentement. Ce bon œuvre auquel l’ouvrier a converti son labeur, leur seroit inutile, si je n’empruntois en leur nom une main charitable qui tire ce petit livre de la presse, et luy decille les yeux pour voir la lumiere. J’implore la vostre, Madame, et conjure vostre faveur de luy estre favorable en sa naissance, je le vous dedie du cœur, que je vous ay voué à mon service, si c’est chose indigne de vos merites, vous serez d’autant plus digne de louange en l’acceptant, et moy plus obligé à demeurer vostre tres-humble et affectionné serviteur.
De Nerveze.
S’il m’est permis (amy Lecteur) de suyvre l’opinion de ceux qui ont attribué le gouvernement du monde au pouvoir de la fortune, je diray que ce n’est pas d’aujourd’huy qu’elle a fait voir et ressentir aux mortels son variable naturel. Car depuis que nostre condition nous a rendu ses hommagers [sic], et fait que nostre prosperité relevait de sa grandeur, nous avons recognu qu’il n’y avoit rien de plus certain dans l’incertitude des choses humaines que leur revolution et la fin de leur estre, que nos biens estoyent les despouilles du temps et nos vies les trophées de la mort, de sorte que ce seroit bastir sur le sable de vouloir sonder une asseurance sur l’estat perissable des affaires du monde, les exemples nous sont familiers et domestiques, comme celuy que j’expose en ceste histoire, en laquelle il se voit que la fortune sur l’eschaffaut d’amour, joüe son personnage d’inconstance, fait representer celuy de l’heur et du malheur à deux Amans, et puis intervient la mort qui leur fait joüer en l’Avril de leurs ans le dernier acte de leur vie. Cet accident est né apres la naissance des troubles de la France, la Tragedie s’est joüée en ce siecle deplorable sous le regne de nos miseres, les larmes en coulent encores des yeux de leurs parens, les regrets en resonnent chez leurs amis, et la pitié en est dans les ames des auditeurs de ceste nouvelle, laquelle je viens souffler à tes oreilles, afin que tu en ayes compassion et moins de fiance aux saveurs trompeuses de la fortune. Tu liras sa perfidie en ceste Histoire plus remplie de verité qu’ornée d’Eloquence, laquelle je suis honteux de t’offrir apres que tant d’autres m’ont devançé de temps, d’experience, et de capacité en leurs œuvres. Mais je te prie de me pardonner en cela ma temerité, et mon aage t’exhorte d’excuser mon ignorance, attribuant le tout au desir qui m’a poussé de sacrifier le fruit de ma peine aux cendres des defunts pour le bien de leur renommée, pour le repos de leurs os, pour le soulagement des Interessez, pour la satisfaction de ma conscience et pour le contentement de leurs amis qui seront bien ayses de les voir revivre dans l’histoire de leur mort.
Nancy Oddo
01/08/2013
11/01/2017
Citer cette noticeNancy Oddo, « Amours de Lucrèce », in base ELR : éditions lyonnaises de romans du XVIe siècle (1501-1600), Pascale Mounier (dir.), en ligne : https://rhr16-elr.unicaen.fr/fiches/124 [consulté le 14/10/2024]